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Correspondance avec un fromage

Martine Gingras

Étrange message intitulé «maman, j’ai pris forme» reçu le 23 juillet 2003. Première pensée: il y a quelqu’un de mieux informé que moi sur ma propre fertilité. Seconde pensée: c’est une métaphore de quelque chose que je ne comprendrai que si je me décide à ouvrir le courriel. Évidemment, ces deux pensées se sont succédées dans mon esprit beaucoup plus vite qu’à l’écrit, et j’étais déjà en train de lire le message pendant que vous vous empêtrez dans mes pensées.

havarti_bebe.jpgCela allait comme suit: «Je suis né hier, alors petit tas quasi informe de billes de lait caillé. Voici ma toute première photo, à côté de mon frère. Tu trouveras que je manque peut-être de décoration, genre des herbes ou des légumes, mais France (ndlr: si, si, la même France qui sévit dans les commentaires des Banlieusardises :)), celle qui nous a créés, a tenu à nous faire ben straight pour son premier essai. »

«Je devrai malheureusement passer quelques tests avant de rejoindre ta belle maison. Il me faudra sécher d’aplomb, subir la torture de la cire chaude, vieillir et mûrir dans une pièce où ni canicule, ni soleil ne pénètre jamais – en fait, il fait plutôt frisquet dans cet endroit, mais les bactéries lactiques que j’héberge adorent la fraîcheur.[…] »

«As-tu remarqué que malgré mon jeune âge, j’ai déjà des petits trous de Havarti sur le coco? Je suis un vrai de vrai!»

Un havarti? Qui d’autre que moi s’est déjà retrouvée mère adoptive d’un havarti? À part les copines de l’inimitable France, je veux dire? ;-) Évidemment, ne voulant pas passer pour une future mère ingrate, j’ai répondu…

Cher futur Havarti,

C’est avec grand plaisir que j’apprends ta naissance et encore plus que ta mère ait si généreusement décidé de t’offrir en adoption à Rosemère. Bien que nous accueillions chez nous plusieurs petits chaque semaine, jamais leur arrivée n’a été attendue comme la tienne le sera. D’ici ce jour merveilleux, je vais me familiariser avec deux beaux livres d’histoires et d’activités conçu spécialement pour occuper les jeunes comme toi: Le fromage, une passion et Les fromages du Québec. Il y a là-dedans une foule de suggestions d’activités qui te plairont sûrement, de la visite au four au tour de mandoline, en passant par quelques farces… tu verras, on ne s’ennuiera pas!

Sèche bien, cher enfant…

Depuis ce jour, chaque fois que mon regard se pose sur un petit bout de chou… euh… de fromage, c’est à lui que je pense. Il m’a laissé sans nouvelle pendant une semaine et demie, me faisant craindre qu’une souris l’ait mangé ou que sa mère biologique ait finalement décidé de le garder avec elle… jusqu’à ce que… non… si! Un message de mon futur havarti!

«Oh là! Hier soir, on m’a fait subir la torture de la cire chaude. Mélangée avec des bouts de Crayola pour faire de la couleur, toi! Ça faisait mal, et ça bouchait tous mes trous. […] Une moitié de meule dans la cire… on laisse sécher une minute… l’autre moitié de meule dans la cire, encore une minute à attendre, tous regardant le plafond… De temps en temps, un petit roulis dans l’assiette pour égaliser les goutelettes. En tout cas, j’avais hâte en cheddar que ça finisse tout ça, la tête me tournait à force de me faire virer d’un côté et de l’autre!»

«Là, je suis à côté de mon frère dans une grosse caisse blanche qu’on appelle frigo. Je voisine un cheddar, un derby et trois camemberts. Pfft! Paraît qu’il y aura bientôt un caerphilly et deux ou trois cambozolas – j’espère que celui là ne fera pas sauter ses p’tits maudits champignons bleus sur mon tuxedo ciré! La grosse caisse blanche n’est pas à proprement parler une chambre froide – […] il a fallu taponner une patente qui permet au frigo de démarrer 30 minutes deux fois par jour, donc d’assurer une bonne température pour le vieillissement […]. Par contre, ça n’est pas assez humide, nous devons donc supporter un méga arrosage au pusch-pusch deux fois par jour. Moi, bof, je ne me plains pas, j’ai mon ciré. Mais t’aurais dû entendre les jérémiades de ces précieux de camemberts, toi! Même enfermés dans leur propre boîte (faut, car le petit blanc de leur vêtement a tendance à déteindre sur nous, les non persillés – nous les toughs!) on sentait qu’ils n’aimaient pas qu’on dérange leur atmosphère. Des p’tites natures, ceux-là. Peuvent pas s’envoyer par la poste, EUX. Pfft!»

Il a l’air d’avoir un sapré caractère (il est probablement dans sa crise d’adolescence), mais je l’aime déjà, ce petit.

Avouez que vous aussi ;-)

Commentaires

  1. Épicurienne

    Très touchant.

    Il faudrait bien que cette maman biologique pense à nous instruire sur la magie de la conception. ;)

    C’est beau et généreux l’adoption, mais imagine un peu le plaisir de voir évoluer ce petit être jusqu’à maturité. Elle a bien dû vivre quelques fausses couches avant d’atteindre cette qualité de procréation, mais j’imagine qu’il faut commencer quelque part.

  2. Éduque le bien… tout le monde sait qu’un fromage « Havarti » en vaut deux ;)))

  3. Grande rousse, je t’havarti dit que t’avais un sens de l’humour incroyable? Mou hi hi…

  4. France

    S’cusez le retard!

    Épicurienne: en effet, j’ai plus de lait au fond du drain que de fromage en chambre de vieillissement, mais quand la passion nous prend, la tête dure n’est pas fournie en option, c’est standard dans l’équipement de base.

    Principe simple, évolution compliquée dû aux multiples variables. D’abord un lieu de travail et des outils archi-propres et stérilisés. Mettre de préférence chat et chum à la porte. Un lait le plus frais possible. On acidifie le lait, soit avec une culture, soit avec un agent acide tel le jus de citron ou le yogourt, ou le babeurre. Il se développera des bactéries lactiques qui digéreront le lactose en acide lactique – ce qui aidera le petit-lait à se séparer du caillé. Elles vont également diminuer le PH du lait et en augmenter l’acidité, ce qui joue un rôle majeur dans la texture du futur fromage. Trop d’acide, fromage qui se brise. Trop peu, fromage molasson juste propre à la fondue!

    On ajoute ensuite de la présure – substance tirée du 4e estomac du veau. Cet estomac permet au veau de faire cailler le lait qu’il boit de sa vache de mère afin d’en ralentir la digestion. S’il n’était que liquide, le veau ne pourrait digérer toutes les protéines contenues dans le lait. C’est donc cette présure qui va solidier la caséine (une protéine du lait). On en met plus pour les fromages durs, moins pour les fromages mous – parfois pas du tout pour le fromage à la crème.

    On laisse agir la présure un certain temps – 1 heure pour le cheddar, 2 heures pour le camembert, 12 heures pour le fromage à la crème. Le caillé est ensuite coupé au couteau directement dans le chaudron et soit égoutté à la passoire, soit, comme dans notre Havarti ici présent, cuit à haute température afin de donner du ressort au caillé.

    Le havarti a été drainé, pressé toute une nuit, laissé pour compte une journée entière dans un bain d’eau fortement salée, puis séché à l’air jusqu’à ce qu’il croûte, environ une semaine. Chaque manipulation est précédée d’un profond récurage de mains au savon antibactérien – le fromage non séché représente un milieu bactérien qui attire autant les horribles coliformes que les sympathiques bactéries lactiques.

    On cire ensuite pour isoler le fromage dans sa bulle saine et on le laisse vieillir deux mois dans une chambre froide, humide et noire, non hantée de préférence. On le visite tous les jours pour le retourner en lui disant qu’il est beau et fin. Certains fromages, comme le parmesan, prennent un an à vieillir. Fiou!!

  5. Le moins qu’on puisse dire, c’est que notre patience est bien récompensée! Toute une aventure que la confection de fromages maison…

    Question naïve: je présume que tu n’as pas un élevage de veau dans ta cour, alors ta présure, tu te la procures à quel endroit? Je n’ai pas souvenir d’avoir rencontré ça où que ce soit!

    Aussi, je sais que tu es bien outillée en ouvrages de référence sur le sujet… si tu n’en avais qu’un à recommander, lequel serait-ce?

    M’ci :)

  6. France

    Alors là, j’en rigole un coup! Aurais-je cent veaux dans la cour, me semble de me pointer Gros Jean comme devant avec Andoril (n’était-ce pas l’épée brisée d’Aragorn?) pour chasser la présure de cette non pubère bête… moi incapable de tuer une araignée! ;o)

    Pour les âmes sensibles aux boucheries de veaux, il existe de chouettes compagnies qui vous vendent de la présure liquide en bouteille. Même qu’aux Zu-S-A, on le vend en tablettes à l’épicerie… mais bon, venant du pays qui a inventé le Cheez Whiz, même les nez non retroussés se lèvent en l’air d’eux mêmes face à une telle idée.

    Pour les intéressés, mon fournisseur est http://glengarrycheesemaking.on.ca. Ils vendent des kits tout faits pour débutants, genre un kit à fromage dur, un kit à fromage mou, etc. Mise en garde: les fromages durs requièrent une presse. Il est possible de se patenter quelque chose avec des dictionnaires si on veut juste essayer avant d’investir le gros prix de la presse.

    Martine, pour répondre à ta question il me faudrait savoir quel genre d’informations tu recherches exactement. Les livres sur la fabrication du fromage sont plutôt arides pour le simple curieux, peut-être veux-tu plutôt un ouvrage de référence sur les différentes sortes de fromages avec de jolies photos? Genre celles qu’on trouve ici même? Ou veux-tu vraiment te lancer dans l’aventure de fabrication? J’ai des titres pour toi dans un cas comme dans l’autre, oui m’dame!

  7. Épicurienne

    Mille merci France!

    Quel art! Tu as toute mon admiration et je ne vois plus bébé Havarti de la même manière.

    Je vais peut-être tenter l’expérience avec un de ces « kits tout faits pour débutants ». En attendant, je vais passer au marché pour me dégoter une nouvelle variété de ces oeuvres. Miam!

  8. Yulin WANG

    caseine presure